Humour 2.0

Youtubers, clic et vues : du lol en billets

Norman, Cyprien, La Ferme Jérôme, autant de noms bien connus des internautes. Leurs délires entre copains ont fait le tour d’Internet. Visionnées plusieurs millions de fois, leurs vidéos sont devenues leur gagne-pain au centre d’un système économique nouveau.

« Yo, c’est Cyrus ! Bienvenue dans ce nouvel épisode du Coup de Phil. » Le dénommé Cyrus North commence toutes ses vidéos par cette phrase. Cet étudiant en école de commerce de 25 ans, s’est lancé depuis maintenant deux ans dans un projet peu banal : vulgariser la philosophie sur internet. « C’est partie d’une idée bête : la philo’ c’est tellement cool, mais c’est tellement mal expliqué ! » Dans Le Coup de Phil, le nom de son émission, il explique avec humour de grandes théories philosophiques, allant de la caverne de Platon à l’empirisme de John Locke.

Cyrus est le genre de mec à remporter des concours de blagues. Lorsqu’il se lance sur internet, il le prend comme un challenge. « Je me suis posé ces questions : est-ce que tu peux créer des contenus qui plaisent aux gens ? Est-ce que tu peux scénariser comme eux ? » Eux, ce sont les mastodontes du genre ; Norman, Cyprien, la Ferme Jérome, Hugo tout seul, Mister V, des petites vedettes du web qui ont lancé un nouveau business numérique, un peu sans s’en douter : le sketch vidéo online.

Ces stars de l’humour 2.0 sont communément appelées les « youtubers », référence au choix de leur plate forme vidéos. Si les concurrents sont délaissés, c’est que Youtube est devenu un social-média, comme peuvent l’être Facebook ou Twitter. Les utilisateurs y ont le réflexe de s’abonner et de partager les contenus. « Il y a aussi un effet de groupe : tout le monde regarde des vidéos sur ce site, il y a une dynamique », commente Cyrus.

Tu cliques, ils gagnent

« Un youtuber devient sérieux à partir du moment où il a plus de 8 000 abonnés ou qu’il dépasse le million de vues par vidéo », juge Damien Viel, un des responsables de commercialisation chez Youtube. Cyrus comptabilise, lui, près de 60 000 abonnés sur Youtube, 10 600 fans sur Facebook et 4 500 followers sur Twitter. De petits scores en comparaison à ses aînés, qui dépassent aisément les cinq millions d’abonnés sur Youtube. « Les débuts sont grave galères, assure Cyrus. Tu avances grâce à des petits à-coups : une personne influente partage ta vidéo et, hop, tu gagnes 200 abonnés. »

Le commercial de Youtube ajoute : « Pour 1000 vues, un internaute peut gagner 2 à 4 dollars », soit entre 1 et 3,50 euros. Ainsi, quand Cyprien fait 8 millions de vues, il empoche entre 15 000 et 20 000 dollars. Cyrus a décidé de placer des publicités sur ses vidéos, histoire de glaner quelques euros. « Il faut juste cocher un bouton dans tes réglages. Tu peux choisir si tu préfères une pub en début de vidéo ou une bannière, par exemple. En général, tout le monde coche toutes les options ! »

« En acceptant qu'il y ait de la publicité avant chacune de leurs vidéos, les Youtubers signent un contrat avec notre entreprise qui leur donne droit à une répartition des bénéfices. Elle tourne généralement autour des 45 ou 55 % », clame le représentant de la plate-forme vidéos. Dans l’entreprise, ils appellent ça des « Online Partnership », qui se transforment en partenariat privilégié si l’humoriste est prometteur. Youtube leur promet alors un coaching personnalisé pour apprendre à viraliser leurs contenus, ainsi que des studios pour tourner leurs vidéos comme des professionnels. Une manière de miser sur le bon cheval.

Un marché prometteur ?

La plate-forme mise sur l’influence des Youtubers et la fidélité de leur communauté, soit leurs abonnés, pour générer des clics et des vues. « C’est notre force, notre carte de visite, affirme Cyrus. C’est par ta communauté que tu existes. Le nombre d’abonnés est essentiel pour te faire remarquer, pour que tes vidéos soient vues et tournent sur le web. » Il prend donc particulièrement soin de ses web-spectateurs.« Je réponds à tous les messages. J’ai même un Ask où ils peuvent me poser toutes les questions qu’ils veulent ou presque, à condition que ça ne soit pas privé. »

Si le modèle économique qui consiste à placer de la redevance sur les vidéos débute à peine en France, il est d’ores et déjà efficace aux Etats-Unis. Les publicitaires outre-Atlantique n’hésitent plus à y investir généreusement. La redevance est la source de revenus principale de Youtube. Ce qui influe dans le même temps sur la rente des Youtubers. Selon le nombre de contrats publicitaires signés, les rémunérations par mois sont très fluctuantes. Par exemple, en décembre, les investissements en pub sont souvent importants pour la période des fêtes. Les mois de janvier à mars sont plus calmes.

Une centaine de Youtubers professionnels

Seule une poignée de comiques 2.0 peut se targuer de gagner sa vie sur le net, une centaine tout au plus en France. C’est le cas de Gonzague Rebois, animateur de Gonzague TV, chaîne de vidéos notamment spécialisée dans les caméras cachées. Il existe deux types de Youtuber selon lui : « les indépendants et les partenaires de médias ». Lui est indépendant et n’hésite pas à prêter son image et son savoir-faire aux entreprises pour gagner sa croûte. Ces dernières profitent, comme Youtube, de la communauté de l’humoriste. Il tourne en ce moment une série de vidéos en partenariat avec une banque française. Quant à Cyrus, il a été repéré par des médias : il présente depuis début avril Le Rewind, pour le site web du journal 20 Minutes, et a collaboré avec Canal+.

Gonzague gagne 2 000 euros par mois en moyenne. Son salaire mensuel fluctue selon les contrats et le nombre de vues de ses vidéos. Une activité principale pas simple tous les jours, mais dans laquelle il a trouvé une « liberté » nouvelle, aussi bien « dans le ton que dans le format ». A 32 ans, l’homme a déjà eu plusieurs vies : ancien journaliste du Morning Café sur M6, il a aussi été chroniqueur pour Ca va s’Cauet sur TF1, Incroyable mais vrai sur TMC, ou encore pour Le Contre Journal sur Canal+. Intervenant rôdé des plateaux télé, Gonzague a tout plaqué en 2007 pour se lancer dans la vidéo sur internet. Le comique débute lorsque le genre n’en est qu’à ses balbutiements et où tout un chacun peut s’y essayer. Il ne suffit alors que d’un équipement vidéo et d’un peu d’imagination. Aujourd’hui, les productions coûtent de plus en plus cher et se professionnalisent. Pas facile de se faire remarquer à l’ombre des grands du web.

« C’est l’école de la démerde »

Les Norman et Cyprien sont rares. Unes de magazines, nombre de vues astronomique et, depuis peu, manager pour gérer leurs affaires, ils bénéficient d’un rayonnement médiatique qui pourrait laisser penser que la carrière de Youtuber est un long fleuve tranquille vers le succès. « FAUX », comme dirait l’autre. Le genre devient toutefois sérieux et a trouvé son public. Un site de crowdfunding a, par exemple, été créé tout spécialement pour les « créateurs du web ». Tipeee permet aux internautes de donner à leurs Youtubers favoris les fonds nécessaires pour réaliser leur contenu.

« Malgré tout, on manque de reconnaissance ! », souligne Gonzague. Le trublion plaide chaque jour la cause de ces auteurs d’un genre nouveau. Membre de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), organisme de gestion collective des droits d’auteurs, il milite pour faire reconnaître le droit de sécurité à la création des scénaristes du web. Un vrai métier, qui mérite meilleure considération, selon celui qui est devenu président du jury de la première édition de « l'Académie SACD-Youtube ». Elle permet aux jeunes vidéastes de lancer leur petite entreprise avec toutes les clés en main. « Dans le cinéma, ils sont beaucoup aidés. YouTube c’est l’école de la démerde. On est la dernière roue du carrosse. »

Inès Belgacem, Mathilde Blin et Christophe-Cécil Garnier